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Il est 20h lorsque nous arrivons à Bamako. Direction l’aéroport. Malheureusement ( !) aucune place de disponible pour Paris. Le vol est complet : une bonne partie des sièges ont été réquisitionnés par TSO pour des rapatriements sanitaires. Nous serons donc contraints de rouler jusqu’à Dakar. Certains d’entre nous s’en réjouissent, car l’aventure continue…

Nous décidons de dormir sur le parking, devant l’aérogare. Alors que nous déplions nos couchages, deux enfants s’approchent de nous, l’air inquiet : « Vous pas dormir ici ! Beaucoup serpents ! ». Je leur demande alors s’ils connaissent un endroit plus sûr : « Vous pouvez venir chez nous… », répondent-ils en cœur.

Très vite, nous nous retrouvons à dix dans le salon d’une famille malienne, déménagé à la hâte. L’hospitalité africaine n’est décidément pas un vain mot !

A l’aube, après avoir fait nos adieux à nos hôtes et à « notre » motard, nous partons pour Kita. La piste qui serpente dans la brousse, est magnifique. Elle borde un parc national et la forêt de Badinko. (photo 1)

 

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Les falaises de Kita

A Kita, nous apprenons qu’un médecin exerce dans le coin. Après un jeu de piste (ici, c’est courant !), nous frappons à la porte d’une modeste bâtisse, entourée de poules qui picorent ce qu’elles peuvent. Le praticien nous accueille chaleureusement. Il nous explique avoir fait ses études en France. Il poursuit : «la vie ici est très difficile. Nous manquons de tout. L’hôpital le plus proche est à Bamako, et depuis un mois,  je ne dispose plus que d’Aspirine pour soigner mes malades ! ». Sa sincérité et son désarroi nous touchent. Nous nous regardons les uns les autres : c’est évident, c’est à lui que nous remettrons la malle de médicaments (rassemblés grâce à l’aide de mon ami Eric Mandron, pilote et délégué médical), que nous transportons dans le camion depuis le départ !

Nous déposons la cantine à ses pieds, et lui demandons de l’ouvrir. Sa surprise est totale ! Il bredouille : « mais ce n’est pas possible ! C’est un miracle ! Merci, mille fois merci ! ». Et le voilà qui fond en sanglots… Nous sommes heureux d’avoir enfin trouvé celui que nous cherchions depuis des jours. Nous nous devions  de remettre ce colis entre de bonnes mains, et nous étions convaincus que cet homme en ferait bon usage. Le Dakar n’était donc plus seulement une course, mais aussi une occasion unique de créer des liens solidaires avec ces peuples d’Afrique qui souffrent, dans l’oubli des nantis. Les larmes de cet homme étaient, paradoxalement, la plus belle des récompenses. Je ne les ai jamais oubliées.

Notre recherche d’un endroit où nous restaurer est couronnée de succès : nous découvrons une paillote, tenue par une Martiniquaise et son mari malien. Elle nous annonce le passage d’un monsieur anglais la veille : Vic est donc toujours devant nous ! Dans la foulée, elle nous propose le plat du jour : poulet à la malienne. «Ce sera prêt dans une demi-heure », nous assure-t-elle en souriant. Ce n’est sans doute pas tous les jours qu’elle a l’occasion d’accueillir dix clients à la fois !

Nous voilà tombés dans le piège africain classique : ici, « une demi-heure » représente une durée pour le moins abstraite ! Une fois installés à l’ombre, nous rêvassons, nous somnolons, nous sommes inertes ! La chaleur est étouffante, et le grand ventilateur poussif qui tourne au plafond, ne brasse que de l’air chaud. Au bout de vingt minutes, des cris et des glapissements nous sortent de notre léthargie. Curieux, je me lève péniblement du divan dans lequel je m’étais affalé, et me dirige vers l’arrière-cour du « restaurant », d’où proviennent ces bruits. J’y retrouve notre hôte, une machette à la main, poursuivant en hurlant quelques volatiles faméliques qui, sentant sans doute leur dernière heure venue, volètent dans tous les sens ! Elle finit par en rattraper un. La pauvre bête se retrouve le cou en travers d’un billot, en moins de temps qu’il ne faut pour ouvrir un paquet de Findus. Le coutelas créole s’abat vigoureusement. Le sang gicle, mais la volaille sans tête échappe aux mains de son bourreau : elle s’encourt, décapitée ! Ce spectacle me coupe définitivement  l’appétit…

Nous attendrons cependant encore une heure et demie, avant de voir arriver les victimes de l’arrière-cour, découpées en morceaux, dans leur linceul de noix de cajou et de tomates !  Il fallait faire honneur, malgré tout à ce met qui avait demandé tant d’efforts à la patronne… Après quelques fruits en guise de  dessert, nous commandons un café. Au bout de cinq minutes, et dans l’hilarité générale, voilà un café…pour dix ! Avant de partir, la restauratrice nous dit avoir dépecé un mouton que Vic a emporté hier, avec l’idée d’organiser un méchoui au bivouac de ce soir ! Décidément, cette paillote est un remake du film l’ « Auberge Rouge », avec ses assassinats en série ! Brrrr.

Nous reprenons la piste. Après quelques heures, nos espoirs de partager le repas de Vic sont déçus : il a une fois encore disparu ! En fin de journée, nous arrivons à Bafoulabé, petit village de torchis, situé au confluent de deux rivières qui forment le fleuve Sénégal : le Bafing et le Bakoye. Nous devrons prendre le bac pour traverser sur l’autre rive. Mais il est tard. Ce sera pour demain. Un habitant nous propose alors de passer la nuit dans 2 cases du village, mises généreusement à notre disposition, après en avoir prestement fait déménager les résidents ! (Photo 2)

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Nous nous retrouvons, la nuit tombée, autour d’un feu crépitant joyeusement, au milieu des sages du village. Je me prends pour Tintin au Congo ! Ces élégants vieillards à la belle barbe blanche, nous disent combien ils sont désespérés de voir fuir les jeunes de chez eux, attirés par les sirènes européennes. « Souvent, ils se retrouvent obligés de ramasser les poubelles, de nettoyer des toilettes ou les quais du métro parisien, de nuit, sans papiers, et surtout sans considération de leurs employeurs, qui eux, sont généralement sans scrupules. Ils se font voler leur dignité. Mais qu’ont-ils comme autre choix ? Ici, il n’y a pas de travail, et la vie est très dure ». Ils sont émouvants. Mais l’optimisme naturel des Africains reprend vite le dessus. Ils nous racontent alors la légende de Mali Sadio, très populaire ici, à tel point qu’un monument a été érigé à sa gloire, la sortie du bourg : un hippopotame (mali en bambara) aurait passé un pacte avec une femme enceinte. Après la naissance, l’hippopotame et la petite fille Sadio, seraient amis. Mais un jour l’hippopotame a été tué, par des habitants du village, jaloux... Leur récit est tellement vivant, qu’il nous semble entendre les grognements du gros mammifère, derrière les bosquets qui ceinturent le village … Mais ce n’est que la brise qui fait bruisser les feuilles. (Photo 3)

 

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Encore sous le charme de cette nouvelle soirée inoubliable, nous rejoignons nos huttes. Avant d’y entrer, et par respect, nous enlevons nos chaussures qui passeront la nuit à la belle étoile…  Mais le lendemain matin, à la sortie, plus de chaussures : sous nos yeux ébahis, elles se retrouvent aux pieds de nos hôtes ! Estimant que ce « don » correspondait à peine au prix de cette exceptionnelle et généreuse hospitalité, et après avoir serré toutes les mains qui se tendaient vers nous, tout en prenant un air détaché,  nous repartons le cœur léger, et…les pieds nus !

Nous palabrons ensuite avec les passeurs du bac. Ils nous affirment que le camion est trop lourd pour monter sur leur barge. (Photo 4)

 

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« Quel poids supporte-t-elle ? » demande Pierre. « 10 tonnes » répond l’un d’eux. Le camion en pèse 14, à vue de nez. « Il fait un peu plus de 9,5 tonnes, répond le chef », qui ment sans vergogne, en espérant sans doute un miracle. En effet, si nous ne passons pas ici, le détour à accomplir sera énorme. A la vue de la liasse de francs CFA que leur tend Pierre, les hommes se laissent convaincre, sans enthousiasme toutefois.

L’Iveco s’avance donc, et monte avec précaution sur le frêle esquif. Nous retenons notre souffle. Dominique n’ose pas regarder. Roues avant, puis roues arrières, et soudain le bac prend l’eau, s’enfonce dans la vase, et…se pose sur le fond, sous les hurlements des passeurs ! Ce qu’ils éructent dans leur langage local, ne doit pas être beau à traduire, ça, c’est sûr… Maintenant, il va falloir assurer.

La suite bientôt dans ces colonnes.

©Lucien Beckers.(sources : un prétexte pour 3 semaines de vacances–D. Fougerouse. www.wikipedia.com – Photos :futura-sciences.com-  inconnu - pbase.com - trobenet.canalblog.com).

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