1 Hans Joachim Stuck

En 1967, à ma sortie de rétho, je décide de m’inscrire à la faculté Solvay, à l’ULB. Mon père m’incite dès lors, à aller passer quelques mois en Allemagne, pour me préparer aux cours de langue germanique, qui d’après lui, y sont très difficiles.

Je postule donc pour un séjour d’immersion  d’été à l’université d’Heidelberg. Ma sœur Christine propose de m’y emmener, au volant de son NSU 1000 TT. Sur la route, le pare-brise éclate soudain, frappé par une pierre jaillie des roues d’un camion. Nous prenons la première sortie pour évacuer le Securit qui jonche le plancher et nos genoux. Après quelques minutes, nous repartons sans vitre (Carglass n’existait pas encore !), mais équipés de casques et de lunettes récupérés à l’arrière de ce qui était à l’époque, la voiture de course de ma championne de sœur ! Les automobilistes allemands nous dépassaient, éberlués, s’interrogeant sur l’origine de ce curieux équipage…

Arrivé sur place, je m’adapte très rapidement à la vie de cette jolie ville universitaire, en compagnie d’étudiants venus du monde entier. Les cours sont passionnants, et mes progrès en allemand vont bon train.

 

 

Au bout de quelques semaines, j’apprends que le weekend suivant, une course du championnat d’Allemagne se dispute sur le circuit d’Hockenheim distant d’à peine 19 km de Heidelberg.

Je décide de m’y rendre en bus. Les essais ont lieu le samedi. Ne disposant que d’un petit budget, je ne peux me payer un hôtel pour passer la nuit qui précède la course sur place.

Après avoir dégusté un infâme pain saucisse, dégoulinant de choucroute et de moutarde, je me mets donc à la recherche d’un endroit pour passer la nuit. Alors que je déambule dans les alentours du circuit, je tombe soudain sur un jeune allemand aux cheveux blonds, qui me paraît sympa. Je lui demande dans mon plus bel allemand, s’il ne connaît pas un coin abrité pour passer la nuit. Il me répond d’un air très assuré, qu’il connaît des box de garages désaffectés situés aux abords du circuit dans lesquels il vient régulièrement loger.

« Tu viens ici souvent ? » lui dis-je. « Oui, très souvent, car je suis passionné de compétition automobile… », me répond-il ; et poursuivant « …car je veux devenir pilote de formule 1 » !

Son aplomb me plait d’emblée. Sa passion aussi. Je ressens chez lui une détermination étonnante, même si de mon côté, la volonté de devenir pilote est aussi vive. Je m’en remets donc à la connaissance des lieux, dont semble faire état mon nouvel ami.

Nous nous retrouvons donc, à la tombée de la nuit dans le fond d’un garage, qui sent le renfermé et l’huile de vidange ! Mais l’endroit est au sec et à l’abri du vent. Incapables de vraiment dormir, nous entamons une conversation nocturne, dont l’essentiel concerne bien sûr la course automobile. C’est alors qu’il me révèle son plan diabolique, élaboré pour le lendemain :

« Demain, si tu veux, tu peux m’accompagner. J’ai pris rendez-vous chez Irmscher, pour essayer une Opel préparée pour le rallye ! ». « Mais, tu as 18 ans ? Tu as déjà ton permis ? » lui demandai-je, surpris que, malgré son air juvénile (j’appris plus tard qu’il avait 16 ans !), il fût déjà en possession du précieux sésame !

« Non, mais je lui ai fait croire que j’avais l’âge, et ça a marché ! Regarde. » Il me montre alors à la lueur de son briquet, un papier qui confirmait le rendez-vous du lendemain !

Après cette nuit froide et pratiquement blanche, mon ami m’entraîne vers une petite tente, à l’entrée du circuit, repaire de Günther Irmscher, le préparateur allemand alors inconnu, qui allait créer sa célèbre entreprise l’année suivante.

L’Opel rouge, munie de jantes larges et équipée d’un arceau, trône à quelques mètres de là. Il demande au responsable si je peux l’accompagner lors de son essai. J’avoue qu’à ce moment précis, je n’en mène pas large. J’allais en effet monter dans une voiture de course, pilotée par un conducteur que je ne connaissais pas vraiment, et qui m’avait avoué ne pas avoir son permis ! Mais l’envie était trop forte, pour faire marche arrière…

Je m’installe donc à l’arrière de la voiture, coincé entre les barres de l’arceau. Mon ami s’installe au volant, l’air bien décidé à montrer à Irmscher, assis à sa droite, ce qu’il avait dans le ventre !

D’emblée, il part à l’attaque de la petite route tortueuse (ouverte à la circulation !) qui faisait office de piste d’essai. Le passager avant commence rapidement à changer de couleur, passant du couperosé au blanc livide, en quelques secondes. Mon ami balance la voiture en glissades, de courbe en courbe, avec une maîtrise incroyable. Malheureusement, sa démonstration n’eût pas l’air de plaire à son voisin, qui en bégayant, lui demanda de se calmer et de faire demi-tour ! Pour ma part, même si j’avais été copieusement secoué, j’avais apprécié à sa juste valeur, le talent du conducteur.

De retour au circuit, mon compagnon d’aventure me remet un petit papier sur lequel il avait inscrit son nom et son adresse. « Si tu passes près de chez moi, viens me saluer. Je te présenterai à mon père, qui est un ancien pilote ». C’est alors que je lus le nom inscrit sur le papier : « Hans J. Stuck Jr ».

 

1 Hans Joachim Stuck.png(Photo 1)

 

Le fils du grand Hans Stuck (Photo 2) était devenu mon ami !

2 Hans Stuck Sr.png

Et junior ne m’avait pas menti : il devint en effet, pilote de formule 1… Je le retrouvai quelques années plus tard aux 24h de Francorchamps, lui, pilote BMW, moi, pilote Alfa Romeo. Je lui rappelai cette histoire et nous en riâmes ensemble.

Epilogue : Lorsque je reçus le programme de la première année de Solvay, je constatai avec surprise,  qu’il n’y avait aucun cours de langues ! Merci Papa !

 

 

Hans Stuck Senior :

Né en 1900 à Varsovie, mais ses parents, d’origine suisse, sont contraints de s’expatrier en Allemagne à la naissance de Hans.

Il intègre le service militaire en 1917, alors que la guerre bat son plein. Son frère Walter y périra d’ailleurs en 1918.

Après son premier mariage en 1922, il découvre le plaisir de la conduite automobile en transportant le lait de sa ferme jusqu’à Munich.

Il participe à sa première course de côte à Baden-Baden en 1923. Il y remporte la victoire !

En 1925, il rencontre un certain Adolf Hitler, lors d’une partie de chasse. Cette rencontre sera capitale pour Stuck, nous le verrons plus loin.

En 1927, il devient pilote officiel pour Austro-Daimler, et participe à sa première course en circuit (GP d’Allemagne).

En 1931, Austro Daimler arrête la compétition. Stuck pilote alors une Mercedes SSKL en catégorie sport, dans laquelle il excelle.

Mais en 1933, Adolf Hitler l’invite à se joindre à Ferdinand Porsche et Auto Union, pour concrétiser les ambitions que le futur Führer nourrit à l’endroit de la compétition automobile. (Photo 3)

 

3 hans stuck Hitler.png

Il veut en effet user de ce vecteur pour montrer à la face du Monde, que l’Allemagne a retrouvé sa puissance créative et surtout sa force industrielle.

Hans Stuck devient vite imbattable au volant de l’Auto Union, conçue et développée par le génial ingénieur Porsche. Le moteur monté à l’arrière (nouveauté pour l’époque), permet de faire passer plus facilement les 500cv sur la route (souvent en terre battue), ce qui rend l’auto pratiquement invulnérable en course de côte ! En circuit, par contre, elle se montre très difficile à maîtriser.

Cela n’empêche pas Stuck de remporter de nombreuses victoires en course de côte, dont il reste le maître incontesté. (Photo 4) Il subira plusieurs accidents relativement grave, dont un qui le priva du titre de champion d’Europe de Courses de Côte 1937. Il fût remporté par son célèbre coéquipier Bernd Rosemeyer. Son palmarès en circuit s’étoffa également entre 1934 et 1938, avec entre autres deux belles victoires aux GP de Suisse et de Tchécoslovaquie 1934. (Photo 5)

 

5 auto union.png

Stuck connût cependant une période très difficile en 1937. En effet, il apprit que les SS s’intéressaient de près à son épouse Paula, qu’ils soupçonnaient d’être juive, alors qu’il s’apprêtait à tenter de battre des records du monde pour le compte de Mercedes. Les portes se ferment soudain devant lui : il n’est pas possible pour les nazis, qu’un pilote dont la femme est à moitié juive, s’attaque aux records du Monde pour une marque allemande ! Sa présence au purgatoire prendra fin en 1938, lorsqu’il réintégrera l’équipe Auto Union au GP d’Allemagne. (Photo 6)

 

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Après la guerre, les pilotes et les équipes allemandes furent purement et simplement bannis des GP. Mais Stuck, en adoptant la nationalité autrichienne, reprend rapidement du service ! Il participe à quelques courses dans l’équipe de Formule 2 d’Alex Von Falkenhausen, puis sur Porsche Spyder, et enfin, reprend du service en course de côte avec une BMW 700RS, qui le sacrera une dernière fois du titre de champion d’Allemagne, à 60 ans. (Photo 7)

 

 

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Il finira comme instructeur sur le circuit du Nürburgring, où il enseigne les secrets du tracé à son fils Hans Joachim, digne héritier de son père.(Photo 8)

 

 

8 hans stuck famille.png

© Lucien Beckers (sources : Hitler & la Course- Alain Van Den Abeele – Wikipedia.com – Inconnu – Studio Wörner – espnf1.com – seriouswheels.com – borremanscollection.com)

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