Ma passion pour le sport automobile est née lorsque mon père, amoureux de l’automobile, m’emmena assister - avec mon frère Patrick et ma sœur Christine - au Grand Prix de Belgique 1958.

A cette époque, la course automobile était un sport où la gloire, souvent éphémère, côtoyait la mort, elle définitive. Cela donnait aux pilotes, courageux chevaliers intrépides, une aura proche de la déification. C’était en tous cas, comme cela que je les voyais.

Lors de ce premier contact avec le monde dans lequel évoluaient ces champions, je ressentis un électrochoc émotionnel intense, surligné par le bruit des moteurs rugissants, et par l’odeur pénétrante et un peu mystérieuse de l’huile de ricin brûlée. J’assistai donc, le cœur battant, lors de cette première joute, à la victoire de Tony Brooks sur la très belle Vanwall vert anglais. Elle devint immédiatement ma voiture favorite, dont mon père me fit cadeau : une Dinky Toys au 1/43ème, qui trône toujours aujourd’hui, dans l’une de mes vitrines.

 

tony brooks gp belgique 1958

Tony Brooks vainqueur du GP de Belgique 1958 sur Vanwall

Entre-temps, ma décision était prise définitivement : je deviendrais pilote de Formule1 !

Frustré de la non-organisation du Grand Prix en 1959, c’est le cœur battant que j’appris qu’une course hors championnat aurait lieu  l’année suivante à Bruxelles, sous la houlette de Pierre Stasse, que mon père avait connu durant la guerre, alors qu’ils faisaient partie de la même cellule de la Résistance belge.

Pierre Stasse était devenu à la fois directeur du journal Les sports et fondateur de l’Equipe Nationale Belge (ENB), dont je vous parlerai sûrement dans ces lignes prochainement. Il avait également été assez bon pilote (ou co-pilote), et avait entre autres, remporté le Liège-Rome-Liège et la Coppa d’Oro dei Dolomiti 1955 en compagnie d’Olivier Gendebien sur une Mercedes 300SL, la belle germanique aux portes « papillon » !

 

gendebien stasse

 

Ne connaissant personne dans le milieu automobile du haut de mes 13ans( !), je voyais en Pierre Stasse la seule personne qui pût m’aider à pénétrer ce milieu très fermé.

Le vendredi 9 avril 1960, je quittai la maison familiale comme à mon habitude, pour me rendre à l’école. Toutefois, au lieu de pénétrer dans la cour de récréation, je montai dans le tram « O », qui me déposa près de la gare du Midi. Je prolongeai mon trajet jusqu’au Heysel, où les préparatifs du Grand Prix battaient leur plein.  Ne doutant de rien, me voilà planté devant l’entrée des paddocks, barrée par un cerbère au faciès peu engageant ! Mais la chance allait rapidement me sourire : je reconnus Pierre Stasse, qui s’engageait dans l’allée au volant de sa voiture. Le cerbère se pencha vers sa fenêtre ouverte, sans doute pour le saluer, ce qui me permit de frapper sur la fenêtre opposée, avec conviction ! Pierre Stasse se retourna vers moi, et à ma grande surprise entreprit d’abaisser la vitre.

« Que veux-tu mon petit ? », m’interrogeât-il.

«  Bonjour Monsieur Stasse, je suis le fils de Robert Beckers !»

« Ah, bon ! Comment va ton père ? »« Il va bien, je vous remercie. » puis j’enchaînai, sans transition « Pourrais-je entrer dans le paddock, s’il vous plait, Monsieur ? ».

« Mais oui, bien sûr ! » me dit-il, en ouvrant la portière passager. « Monte ! ».

Incroyable : mon projet fou avait réussi, au-delà de toutes mes espérances… et assis à côté du grand patron du Grand Prix, assurément, le Roi n’était pas mon cousin !

J’eus ainsi donc le privilège de coller aux basques de Pierre Stasse toute la journée, et de cotôyer ainsi tous les Dieux de mon Eden, et de les faire parapher mon carnet d’autographes. Il y avait là Olivier Gendebien, Joachim Bonnier, Stirling Moss, Chris Bristow, Jack Brabham (futur vainqueur), Jim Clark, Maurice Trintignant, Harry Schell, Alan Stacey, Lucien Bianchi, Jack Brabham, Paul Frère, Ron Flockhart, Jo Schlesser, John Campbell-Jones, David Piper, John Lewis,  Wolfgang Seidel, Masten Gregory, Keith Ballisat, Alfonso de Tomaso, Tony Marsch et le Belge Christian Goethals.

Je rentrai à la maison les yeux plein d’étoiles, sans penser que le lundi venu, je devrais expliquer à mon père, mon absence injustifiée (sauf à mes yeux, bien sûr !) à l’école.

Pour couronner ma journée, Pierre Stasse m’avait procuré deux précieux sésames, qui me donneraient accès aux paddocks pour le jour de la course. J’allai rejoindre ma sœur Christine dans sa chambre, et lui contai ma folle aventure. Je la persuadai sans difficultés, de bien vouloir  m’aider à convaincre mes parents à nous autoriser de nous rendre ensemble au Heysel, pour assister à la course du dimanche. L’entreprise fût couronnée de succès, et ma sœur contracta immédiatement le virus, qui proliféra jusqu’à ce qu’elle devienne un jour Championne de Belgique des Conductrices ! Mais cela est une autre histoire, que je vous conterai un jour, sans doute.

L’année suivante (1961), nous pûmes obtenir des pass grâce à nos éminentes relations ( !) et j’eus  cette fois le privilège d’accompagner Pierre Stasse jusqu’au pied du podium !

podium gp de belgique 1961

Podium du GP de Belgique 1961

Bruce Mc Laren (2) – Jack Brabham (1) – Tony Marsh (3) – Lucien Bianchi (4) – Pierre Stasse (pochette blanche) et Lucien Beckers (le ptit gars à la coiffure en brosse) !

© Lucien Beckers

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