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Après deux tentatives infructueuses, mon ami Michel De Deyne (avec qui j’avais déjà roulé au Rallye de l’Atlas et aux Pharaons) avait un rêve, devenu obsession : arriver à Dakar ! Il me contacta donc, en me demandant de lui apporter un budget conséquent pour participer à la septième édition du Paris-Dakar. Je devais malheureusement et à grand regret décliner son offre, car il me paraissait illusoire de trouver la somme qu’il me demandait, tant les sponsors se faisaient tirer l’oreille. Mais trois mois avant le départ, Michel m’appela et la conversation fût à peu près celle-ci :

« Salut mon Lulu, c’est Michel. J’ai une faveur à te demander… Peux-tu me promettre que si tu pars avec moi, nous atteindrons Dakar ? ».

« Michel, je te l’ai dit, je ne me sens pas à même de t’apporter ma part de budget. Il vaut mieux que tu cherches quelqu’un d’autre. »

« Ce n’était pas ma question ! Peux-tu me promettre de m’amener à l’arrivée du rallye ? »

« Honnêtement, non ! Je connais l’épreuve pour l’avoir faite deux fois. Si l’expérience joue en effet un grand rôle, il y a également les grandes inconnues que constituent le désert et ses embûches innombrables… Te faire une telle promesse serait très malhonnête de ma part. Par contre je peux te promettre de te donner les meilleures cartes pour y arriver. Ma seule exigence serait que tu acceptes de te conformer à mes demandes ».

« OK. Je suis d’accord. Je me charge du budget et de l’auto, et toi du reste. Je t’emmène ! ».

Ce deal faisait de nous plus que deux amis (que nous étions déjà). Nous voici désormais unis par le même défi : rallier Dakar !

Mais Thierry Sabine avait averti les concurrents des difficultés qui les attendaient dans cette septième édition. Lors du briefing donné dans la salle des Congrès de Versailles, la veille du départ, il avait en effet déclaré : « Cette année, nous revenons à des notions plus saines pour ce type d’épreuve. L’homme passera dorénavant avant la machine. Il faudra avant tout être capable de lire une carte et de s’orienter dans le désert, sans balises ! Le parcours a été tracé dans ce but, et pendant les reconnaissances, nous avons déniché des pistes inutilisées depuis longtemps, en Mauritanie, notamment ». On entendit une mouche voler dans l’assistance, après cet impressionnant discours, le charme et le charisme de Thierry opérant déjà…

Porté à 14.000km (oui, vous avez bien lu !), le parcours comporte une boucle infernale dans le Ténéré, dénommé « Le Raid Santos », qui se termine par une spéciale de nuit. Elle sera suivie d’une étape Marathon de 1.600km entre Agadez et Gao ! Jean-Luc Roy, journaliste ami, n’hésite pas à enfoncer le clou, lorsqu’il écrit : « Contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit par certains, qui ne sont en général jamais venu vérifier leurs dires sur le terrain, le « Dakar » reste plus que jamais l’épreuve de référence, où les limites des hommes et des mécaniques sont repoussées à l’extrême. Une épreuve ou chacun peut venir tester sa résistance au mal, à la fatigue, au manque de sommeil ou à la peur. »(P1 - Parcours)

Il s’agissait donc d’être bien préparés. Michel avait jeté son dévolu sur le nouveau Landrover V8, qui reprenait pratiquement la mécanique du célèbre Range Rover, véhicule qui avait prouvé sa robustesse à plusieurs reprises dans cette épreuve. La préparation fût l’œuvre de ETT (Eggenspieler) à Paris. Le moteur restait celui de série, ce qui ne nous permettrait sans doute pas de jouer la victoire, mais faute d’un budget suffisant, Michel privilégiait la robustesse face à la performance pure. Afin d’être les plus professionnels possibles, nous nous rendons chez ETT, afin de nous familiariser avec la mécanique de l’auto. Durant plusieurs jours, je ne fis, entre autres, que démonter, puis remonter une boîte de vitesse,  faiblesse connue des anciens Land. A la fin, je pouvais pratiquement arriver à réaliser le remontage les yeux fermés !(P2- Land)

De retour à Bruxelles, nous établissons une liste des pièces de rechange à charger dans le véhicule, et une autre pour celles destinées à un camion d’assistance, dans lequel nous disposions d’un espace. Dino, notre mécano, avait lui, un siège dans un avion affrété par l’organisation. Nous le retrouverions le plus souvent possible aux bivouacs. Je m’occuperais de la mécanique en son absence.

Après une séance photo au Cinquantenaire pour nos sponsors, nous nous retrouvons place Rogier à Bruxelles pour le pré-départ belge. Une foule énorme se presse déjà autour des véhicules présents.  Cela présageait déjà d’un engouement populaire énorme au départ de Versailles… Nous n’allions pas être déçus ! (P3 – Cinquantenaire)

Après une spéciale boueuse à Heusden-Zolder et  les vérifications techniques à Paris, nous arrivons à Cergy Pontoise pour participer au prologue. Tracé sur le terrain de l’école de pilotage de l’endroit, le parcours de 7km s’annonce très sélectif, ce qui m’incite à le parcourir à pied avec l’intention d’en repérer les pièges. Il a beaucoup plu les jours précédents, et certaines flaques boueuses ressemblent à de véritables lacs ! Le parcours est ceinturé par plus de 80.000 spectateurs, avides de spectacle !

Je fais le point avec Michel. Je lui demande de faire très attention aux zones humides, dans lesquelles il convient de ne pas passer trop vite, faute de quoi, nous risquons de noyer l’allumage. Mais Michel est un gagneur, et dès qu’il est derrière un volant, c’est pour tirer le maximum de son équipage. Dès le départ de la spéciale je lui demande de ralentir…Jusqu’au moment où une l’immense flaque (que j’avais repérée !) nous barre la route. Cependant, Michel ne lève pas le pied, et à peine sommes-nous sortis du bourbier, que le moteur du Land se met à ratatouiller lamentablement ! J’enrage, alors que nous nous traînons péniblement vers la ligne d’arrivée. Le résultat est tout bonnement catastrophique, car nous nous retrouvons déjà largués au-delà de la 190ème place ! Un désastre, quand on sait que le classement du prologue décide de l’ordre de départ de la première spéciale africaine du rallye. Nous allons donc « bouffer » de la poussière, avant, l’espérons-nous, de retrouver une place plus digne de notre rang… Je fais déjà la leçon à Michel, lui rappelant que pour mettre toutes les chances de notre côté, il m’avait promis d’écouter mes conseils, et surtout de les suivre ! Il est tout penaud, et me promet d’être plus raisonnable à l’avenir. J’en prends bonne note… (P4 – Prologue )

Le dernier soir, celui du réveillon de l’an, toute notre équipe, épouses et amis dont Joël Robert, sommes une dernière fois réunis à Versailles, autour d’une tablée riante et très optimiste sur l’issue de notre pari, malgré cette première désillusion…

Le lendemain, 1er janvier, c’est le grand jour ! Des milliers de spectateurs s’entassent autour du podium de départ, espérant apercevoir les vedettes comme Sardou, Balavoine ou Plastic Bertrand, un parent ou un ami participant. (Je fais signer une carte postale par les trois chanteurs à Alger - Pièce unique ! (P2B- Carte postale)

C’est à nous : le starter égrène les secondes…Cinq…Quatre….Trois…Deux …Un...Go ! Ici, l’aventure commence vraiment ! Nous frayant un passage entre deux haies de bras agités et de visages enthousiastes, nous  entamons la descente vers Sète, via la N20 désormais traditionnelle entame du Dakar. A tous les contrôles de passages, c’est la folie ! Des milliers de personnes sont là pour nous encourager.

Arrivés à Sète, les concurrents avaient le choix : soit traverser la méditerranée en accompagnant leur véhicule sur le « Tipasa » ou le « Timimoun », soit choisir l’avion pour rejoindre Alger. C’est la solution que nous avions choisi, Michel et moi, craignant une traversée agitée, usante pour les organismes qui seraient déjà suffisamment sollicités dans les jours à venir ! A l’hôtel à Alger, nous retrouvons nos amis Pascal Witmeur et son équipier « de luxe » Plastic Bertrand. La soirée se passe autour d’une partie de billard des plus cocasses, qui nous permet de faire un peu baisser la pression. Arrivés dans notre chambre, Michel retrouve son côté perfectionniste : il ouvre en grand la porte fenêtre et coupe le chauffage ! Dehors il fait zéro degré ! « Habituons nous tout de suite au froid, car demain soir nous serons sous tente dans le désert ». Je passai donc une très mauvaise nuit, sans oser me lever pour aller fermer cette maudite fenêtre, et faire aveu de faiblesse devant mon coéquipier !

La suite nous donnera raison d’avoir choisi l’avion, car le vent souffle très fort sur le trajet, et nombreuses furent les victimes du mal de mer durant la traversée. De plus, le second bateau arrive à Alger avec beaucoup de retard, obligeant beaucoup de participants à devoir entamer la première liaison de 850km, de nuit, sur des routes souvent verglacées.

Le lendemain, nous arrivons sans encombre au départ de la première spéciale reliant Ouargla à El Goléa (246km), sauf que des jeunes planqués dans les arbres à la sortie d’Alger et armés de catapultes, ont pris notre parebrise pour cible. Une grosse étoile se forme en plein dans mon champ visuel. Dino notre mécano, arrivera à joindre notre équipe en Belgique, afin de demander l’envoi d’une nouvelle vitre. En principe, elle devrait nous être livrée à Agadez par notre ami Joël Robert ! Nous voilà dans la file des voitures. Nous devons attendre notre tour pendant plus de deux heures. Je profite de cette pose pour refaire un point de la situation avec Michel. Malheureusement, nous ne pouvons appliquer la stratégie prévue à l’origine, c’est-à-dire temporiser, car nous sommes trop loin des premiers, suite à notre mésaventure du prologue. Il nous faut impérativement remonter sérieusement au classement, si ne voulons pas perdre la tête de la course, et éviter les galères nocturnes ! Nous décidons donc de pratiquer l’attaque à outrance. Dès le départ Michel – dont c’est la spécialité -  démarre le couteau entre les dents. Grâce à son pilotage flamboyant, nous remontons les voitures parties devant nous, une par une. La poussière nous gêne considérablement. La technique est d’approcher la voiture qui nous précède à environ deux mètres de son pare-chocs arrière, là où une zone de visibilité nous donne un peu de latitude pour tenter un dépassement, sans prendre trop de risques.

Notre puissant klaxon fonctionne presque sans arrêt, et les malheureux équipages qui ne nous cèdent pas assez rapidement le passage, se font gentiment pousser sur le bord de la piste. Le rythme est très soutenu, et nous remontons plus d’une centaine de voitures ! Soudain, devant nous, un camion vient de se coucher sur le flanc. Nous nous arrêtons pour porter secours à l’équipage. A notre grande surprise nous sortons une femme par la fenêtre latérale. Deuxième surprise : il s’agit de Caroline de Monaco, équipière de son mari Stefano Casiraghi ! Elle nous remercie gentiment, et nous voilà déjà repartis. Un peu plus loin, c’est mon ami Pascal Witmeur qui est en difficulté. Avec sa petite Fiat Panda 4x4, il ne joue pas dans la même catégorie que nous. Nous ne pouvons malheureusement lui porter assistance sans risquer de nous ensabler à notre tour, et de perdre ainsi beaucoup de temps. Nous le laissons donc dans sa galère ! A l’arrivée nous sommes revenus dans les 60 premiers : la moitié du travail est fait… Il convient toutefois de poursuivre notre effort.

Les dégâts sont déjà considérables : Schlesser, Jabouille/Sardou et toutes les autres Lada, Lartigue deuxième en 83, connaissent déjà de gros ennuis mécaniques.

Le lendemain, suite de la poursuite de notre Graal : atteindre les alentours de la trentième place. Liaison de 136km jusqu’à Chebaba, puis 297km de spéciale très rapide, ce qui nous permet de progresser encore, en arrivant à In Salah après 500km de piste.

Le lendemain, sera une triste journée. En effet entre In Salah et In Amguel (600km), nous apercevons soudain une Citroën Visa littéralement explosée. Il s’agit de celle du célèbre et très sympathique ex-pilote Alpine, Jean-Luc Thérier et Michel Vial son équipier. L’accident vient manifestement de se produire. Nous nous portons à leur secours. La vision du crash et très impressionnante, des pièces et des morceaux de carrosserie sont éparpillés sur des centaines de mètres. Lancés à pleine vitesse, ils ont fait plusieurs tonneaux vers l’avant. Vial, qui paraît être indemne, est accroupis au chevet de Jean-Luc qui semble lui, très touché, et souffre énormément. Sa tête a littéralement doublée de volume, car son casque s’est désintégré sous la puissance du choc, et il a beaucoup de mal à respirer. Jean-Jacques Ratet (mon équipier chez Toyota en 83) et Nanouk nous rejoignent. Nous sentant désormais inutiles, nous reprenons la piste, très choqués per cet accident. A la première voiture de l’organisation, nous donnons des nouvelles de l’équipage. On nous confirme que l’hélicoptère médical est déjà sur place. Nous apprendrons plus tard qu’outre une sérieuse commotion cérébrale, Thérier souffre également d’une fracture de la clavicule et d’un enfoncement de la cage thoracique. Il ne se remettra malheureusement jamais totalement de cette terrible cabriole.(P5 - Thérier)

Le 7 janvier, entre Tamanrasset et Iférouane nous sortons d’Algérie pour pénétrer au Niger. Je suis passé ici en voyage d’agrément l’année dernière et je connais bien le coin. Cela nous permet de ne pas nous perdre, et nous atteignons Iférouane en 23ème position. Nous sommes très heureux d’être là, avant d’attaquer le Raid Santos qui nous mènera en boucle d’Agadez à Agadez, en passant par Dirkou, à travers du terrible désert du Ténéré. Le bivouac est très agréable et les Nigériens fort accueillants. (P6 – Raid Santos)

Le 8, nous partons pour Agadez. Il s’agit d’être très attentif, car nous referons cette étape de nuit au retour du Raid Santos. Il convient donc de corriger les notes du roadbook pour éviter toutes les surprises. Le Land semble peiner dans le sable mou. Je propose à Michel de dégonfler les pneus à 1k2 pour mieux « flotter » en surface. Sitôt dit, sitôt fait, et malgré le risque de crevaison, nous gagnons immédiatement 20 à 30 km/h !

A Agadez, surprise ! Nous retrouvons Joël et…un nouveau parebrise ! Comment a-t-il fait pour arriver là ? Mystère, nous ne le saurons jamais ! Immédiatement, nous nous attaquons au remplacement du carreau abîmé. Malheureusement, malgré de nombreuses précautions, nous fendons la nouvelle pièce de part en part au montage ! Seule solution, remettre le précédent ! Tout ça pour ça… Nous profitons peu des charmes d’Agadez, mais nous arrivons toutefois à trouver une chambre et surtout une douche ! Avant l’enfer qui nous attend dans les prochaines heures, voilà qui est bon pour le moral !

Le lendemain matin, Thierry Sabine, comme à son habitude, grimpe sur le camion-cantine d’Africatours, pour haranguer ses troupes, et leur annoncer les difficultés de la journée. Il semble tendu… C’est mauvais signe ! Il  nous incite à la prudence et surtout à la modestie face à l’étendue du désert. « Ne soyez jamais sûrs de vous face à son immensité. Il faut de l’humilité pour l’aborder ! » Mon épique passage dans le Ténéré en pleine tempête de sable en 83 (Voir « Bienvenu en Enfer »), me revient en mémoire. Je vais à nouveau devoir me mesurer à lui et à ses nombreux pièges. Michel compte justement sur mon expérience pour vaincre ce géant ! Fameuse responsabilité…

Nous attaquons calmement cette étape gigantesque, car le tout est de tenir et de préserver la mécanique. Heureusement le temps est au beau fixe, et le vent absent. Nous nous appliquons à suivre les balises, posées tous les 2 kilomètres environ. Pour la troisième fois en ce qui me concerne, j’aperçois l’arbre du Ténéré, qui d’arbre n’a plus que le nom ! En effet l’arbre  original a été abattu par un camion qui avait réussi l’exploit de viser son tronc au milieu des milliers de kilomètres carrés de sable qui le cernaient. Depuis, il a été remplacé par un montage métallique, nettement moins romantique… (P6B – Arbre Ténéré)

Le raid Santos tient toutes ses promesses. L’endurance et la prudence sont les clés pour arriver à Dirkou, de nuit. Nous sommes 24èmes au classement général. La fatigue ne nous quitte plus, et Michel qui conduit depuis le départ d’Alger accuse le coup. Nous devons tenir jusqu’à Agadez qui est encore à…1150km, soit exactement Bruxelles – Saint-Tropez, mais sans autoroutes!

Le lendemain, départ en ligne de Dirkou, avec comme tout roadbook, un cap à suivre. Nous avons deux boussoles qui ne semblent pas être d’accord entre elles ! Michel a plutôt tendance à tirer vers la gauche, et moi, vers la droite… Bref, c’est Michel qui avait raison, et résultat, nous ratons le contrôle de passage, avec 3h de pénalités à la clé… Je suis penaud, et nous sommes très démoralisés lorsque nous apprenons la nouvelle. Plus tard, toutefois, de retour à Iferouane, nous comprendrons que beaucoup de nos concurrents les plus proches, ont fait la même erreur, qui dès lors s’annule pratiquement.

D’Iferouane, nous devons repartir pratiquement à la tombée du jour pour rejoindre Agadez. Nous sommes toujours dans les 25 premiers, mais il va falloir s’accrocher, car l’étape est dantesque et notre fatigue atteint des sommets !

Au bout de 500km à la lueur des phares, Michel enclenche les essuie-glaces, car la poussière s’accumule sur la vitre et la visibilité est quasi nulle ! Mais nous avons scotché la fêlure du parebrise pour éviter qu’il ne s’étoile d’avantage. Le balais d’essuie-glace est donc freiné à chaque passage sur la toile, et ce qui devait arriver arriva : le moteur d’essuie-glace prend soudainement feu après avoir chauffé ! Nous arrivons rapidement à circonscrire le sinistre, mais nous craignons le pire pour le circuit électrique. Heureusement, tout semble fonctionner normalement. Avertissement sans frais. Pour fêter ça, Michel me propose de prendre chacun une rasade de whisky du flacon qu’il a subrepticement placé avant le départ dans le vide poche. Erreur fatale, car rien de tel qu’un peu d’alcool pour accentuer encore l’impression de fatigue. Michel n’en peut plus et me demande de prendre le volant. Je ne suis guère plus vaillant que lui, mais je suis prêt à assumer ma part. Nous arrivons à Agadez comme des zombies, mais sans autre problème majeur. Nous apprenons que de nombreux concurrents se sont perdus ou ont cassé. Nous avons maintenant à profiter de notre première journée de repos pour remettre auto et équipage d’aplomb ! Heureusement, notre fidèle mécano Dino, descendu tel un ange de son avion, me décharge de la partie mécanique.

La journée de repos nous permet de reprendre des forces, de mettre un peu d’ordre à l’intérieur de l’auto,  et surtout de préparer la navigation de la terrible étape de 1.300km qui nous attend entre Agadez et Gao, au Mali.

Après une bonne nuit, nous reprenons la piste avec courage et détermination. Le paysage change, et la piste sillonne entre arbres et taillis d’épineux. Nous traversons de temps à autre de jolis petits villages de huttes en torchis. Je demande à Michel d’être très prudent, car de nombreux enfants courent dans tous les sens pour nous souhaiter la bienvenue, en criant « Le rallye ! Le Rallye ! ». Ma hantise est que l’un d’entre eux ne traverse devant nos roues…

Le roadbook comporte pas mal d’imprécisions sur ce parcours et nous croisons de nombreux concurrents qui tournent en rond. Mes cartes sur les genoux et la boussole en main, je ne relâche pas mon attention, et nous gardons la bonne piste. Soudain, nous voyons le motard belge Gaston Rahier, le futur vainqueur « motos », arrêté sur le bord de la piste, nous faisant de grands signes. Nous prenons la décision de nous arrêter. Il nous explique qu’il avait oublié son carton de pointage au contrôle précédent. Il s’en était heureusement aperçu, et avait fait demi-tour pour s’en aller le récupérer. Au retour le voilà tombé en panne d’essence ! Nous ravitaillons en vitesse notre Gastounnet national ! Il nous revaudra cela à l’arrivée, en vainqueur, devant une bonne bière sénégalaise… (P9 - Rahier)

Mais revoici la nuit. Michel me demande de reprendre un peu le volant, car il voit de temps à autres un troupeau éléphants roses au bord de la piste, et pense qu’il pourrait peut-être( !) s’agir d’hallucinations dues à la fatigue… Je reprends les commandes du Land, et Michel s’endort presque immédiatement à côté de moi. Nous arrivons à Gao vers 4h du matin, sans avoir perdu de place au classement général. La voiture tourne comme une horloge, mais après avoir dormi quelques heures, ne voyant pas arriver Dino, pourtant prévu ici, je plonge sous l’auto et commence à vérifier le serrage de tous les boulons. Tâche qui s’avère très profitable, car deux boulons fixant les amortisseurs sont desserrés…On l’a échappé belle !

Gao est une ville très typique et accueillante, située au bord du fleuve Niger. Petit  bémol, le rallye est déjà passé ici il y a 3 ans, et donc, les habitants se sont bien préparés pour recueillir le maximum de bienfaits sonnants et trébuchants de cette manne de visiteurs… Tous les prix sont multipliés par cinq au minimum ! De l’essence à la bière ou à l’utilisation d’un poste de soudure, tout se négocie au prix fort… Ça fait partie du jeu, mais les choses se passent toujours avec gentillesse, accompagnées de grands sourires. (P7 – Gao)

En route pour Tombouctou, ville merveilleuse et un peu mystérieuse, que je n’ai jamais eu la chance de visiter, ou même de traverser. Mais pour l’atteindre, il faut payer le prix ! Pour le quinzième jour de course, Sabine nous propose une étape de 424 km, tracée dans les dunes de sable mou, le long du fleuve Niger. Nous dégonflons à nouveau les pneus, et Michel, en plein second souffle déploie sa science du pilotage avec brio ! Nous arrivons enfin à Tombouctou. Je retrouve mes potes Pierre Fougerouse et Jean-Jacques Ratet, tous les deux classés dans les 10 premiers. Ensemble, nous allons visiter la célèbre mosquée millénaire, construite en terre séchée. Elle contient des manuscrits très anciens, que nous présente avec fierté l’imam local. Il est clair que nous sommes accueillis en amis dans cet endroit merveilleux. Merci Thierry Sabine de nous avoir permis de vivre cela ! On sait combien ces gens ont souffert du passage des islamistes dans la région en 2013… (P10 Pierre –JJ – Lucien)) – (P11 - Mosquée)

Michel a dégotté un « hôtel » qui possède une douche. Nous nous y précipitons en vain : il n’y a pas d’eau ! Pas grave…Nous nous écroulons sur nos lits, dont les sommiers sont presque aussi anciens que la mosquée locale, mais nous nous en contentons !

Le lendemain matin, comme d’habitude, je fais le point avec Michel. Nous sommes remontés à la 17ème place. Le concurrent devant nous a près de 3h d’avance, et celui qui nous suit est également très loin. La stratégie est donc de compter sur la préservation de la mécanique et sur une bonne navigation. Inutile de se risquer à rouler au maximum : il faut avant tout progresser avec l’idée d’arriver à Dakar, ce qui reste notre objectif. Aujourd’hui l’étape qui nous mène de Tombouctou à Nema fait 750km. Au bout d’une trentaine de kilomètres, je rappelle Michel à l’ordre, car je trouve qu’il roule trop vite sur cette piste piégeuse à souhait. Mais il semble ne pas m’entendre. Trente kilomètres plus loin, je monte un peu le ton ! Rien n’y fait : il a mangé du lion ! Aux grands maux, les grands remèdes : je ferme calmement le roadbook et je le range ostensiblement à l’arrière. Je n’annonce plus les notes. Soudain, une fourche se présente à nous. Michel me demande : « A droite ou à gauche ? ». Je ne réponds pas. « Lulu, s’il-te-plait ! »… Je lui explique que s’il continue à ne pas m’écouter, non seulement je continuerai à faire la grève de la lecture de notes, mais qu’en plus, il n’arrivera pas à Dakar, et qu’il ne pourra s’en prendre qu’à lui-même ! « Ok. Tu as raison. Excuse-moi ! ». Sitôt il lève le pied, et nous voilà à nouveau sur la même longueur d’onde… Malgré cela, nous faisons le 15ème temps de la spéciale, devant nos copains belges Gérard Marci et Luc Janssens,  pourtant devant nous au classement général. Comme quoi, parfois, rien ne sert de courir, il faut partir à point…

A Néma, nous devons faire le plein avant d’aller dormir. La seule pompe (à main) est évidemment prise d’assaut, et elle ne débite qu’un minuscule filet d’essence. Je conseille à Michel d’aller se coucher car l’étape qui nous attend entre Nema et Tichit (500km) a la réputation d’être un enfer de plus. Au bout de quatre heures ( !) d’attente, où je somnole dans la voiture, le pompiste commence à me servir. Une demi-heure plus tard, je me couche à mon tour. Ma nuit sera courte : debout dans deux heures, pour prendre le départ !

Mauvaise surprise au réveil : le vent de sable s’est levé ! Après 95km de piste, au détour d’une dune, et à notre grande surprise, les voitures et les motos parties devant nous sont à l’arrêt. Sabine a décidé de neutraliser la course à cause de la tempête. De nombreux concurrents se sont perdus, et avec une visibilité quasi nulle, les hélicos ont évidemment du mal à les repérer, pour ensuite les rediriger vers le reste de la caravane.(P13 – Neutralisation Mauritanie – Pescarolo/Marci)

Le répit n’est cependant que de courte durée, car il va falloir ensuite rattraper le temps perdu, avec 500 km de spéciale, et autant ensuite pour rejoindre Kiffa. 20 km après le départ nous arrivons sur une dune énorme. Devant nous un paysage d’apocalypse : des dizaines de motos et de voitures ensablées, jusqu’au portières pour certaines ! Je tente de guider Michel au mieux, en lui lisant le terrain avec autant d’anticipation que possible. Plusieurs fois, nous croyons nous ensabler, mais le Land fait merveille dans ce terrain pourri, et Michel s’en tire comme un as. Nous arrivons au sommet, d’où nous pouvons apercevoir le triste tableau de tous nos concurrents en train de pelleter, au bord de l’épuisement. Mais cet épisode m’a un peu déconcentré, et soudain, nous nous rendons compte que nous ne sommes plus sur la bonne piste. Nous avons raté un rocher en forme d’éléphant (encore !) décrit dans les notes, et nous sommes au bord d’une vallée rocailleuse et abrupte, avec un rocher infranchissable devant nous. Nous nous arrêtons, et je sors pour la première fois, notre paire de jumelles. Je scrute au loin, et j’aperçois une caravane de dromadaires qui se déplace sur la ligne d’horizon. Sauvés ! Ce matin au briefing, Thierry Sabine nous avait indiqué que la piste suivait la route des puits sur plusieurs dizaines de kilomètres. Tintinophile averti, je sais que « caravane » signifie « eau »… La seule solution pour perdre un minimum de temps est de descendre dans la vallée caillouteuse et inhospitalière qui s’offre à nous ! Michel hésite un peu, mais j’arrive à le convaincre, et nous voilà naviguant entre les rochers, en première vitesse courte, pour atteindre le fond de la vallée, où un semblant de piste semble nous mener dans la bonne direction. Au bout d’une dizaine de kilomètres, et à notre grand soulagement, nous retrouvons la bonne route. Mais elle est constituée de fesh-fesh (sable farineux), et soudain, nous voilà bien plantés, jusqu’à mi- roues ! On sort les pelles, mais au bout de près de 45 minutes, nous sommes toujours ensablés, lorsque les premières voitures arrivent. Bien sûr, elles ne s’arrêtent pas, de peur de subir le même sort que nous… Jusqu’à ce qu’un Datsun Patrol et la Renault des frères Marreau nous rejoignent dans notre galère ! Je commence alors un marchandage de bas étage : « On vous pousse, si vous nous poussez !». Après avoir tentés de s’en sortir seuls, les deux équipages doivent se rendre à l’évidence : à cinq, on est plus forts qu’à deux ! Effectivement, dix minutes plus tard, nos trois véhicules reprennent la piste, pour attaquer les 800 km qui nous séparent encore de l’arrivée de l’étape. Une paille ! Je suis complètement déshydraté et épuisé par mon travail de terrassier. Nous devons rattraper l’heure perdue, et surtout éviter d’arriver hors délai en prenant 15 heures de pénalité. Un rapide calcul me montre qu’il faut approcher le 60 de moyenne pour y parvenir. Pas évident sur ces pistes chaotiques… (P14 – Passe de Nega)

La nuit tombe, et nous n’avons plus qu’un kilo de pression dans les pneus, suite à notre ensablement. Le moral est nettement en baisse dans l’habitacle. Et encore des saignées, des cols empierrés, des dunes archi-molles et des trous énormes qui s’enchaînent. Nous pensons avoir reculés au classement, mais à l’arrivée à Kiffa, Thierry Sabine nous prend dans ces bras : « vous êtes trop forts les mecs ! Seules 8 voitures sont arrivées avant vous… » ! Nous sommes désormais onzièmes ! Incroyable ! Cette étape s’avère être un enfer pour tous les équipages, et malgré nos déboires, nous avons fait mieux que les autres… Comme quoi, au Dakar, si rien n’est jamais acquis, rien n’est jamais perdu ! De nombreux concurrents se trouvent en arrière à plus de 700km d’ici ! La course est à nouveau neutralisée pour leur permettre de rejoindre Kiffa, sans être automatiquement hors délais…

Honnêtement à cet instant précis, je nous voyais déjà dérouler jusqu’à Dakar sans trop de difficultés. Mais c’était sans compter avec l’imagination diabolique de Sabine ! Je me fourrais le doigt dans l’œil jusqu’au coude. En effet, l’étape Kiffa – Kayes allait s’avérer être un exercice de navigation d’anthologie. Le roadbook, très imprécis, comportait quelques belles erreurs, à tel point que je décidai rapidement de ne plus faire confiance qu’à mes cartes et à ma boussole. Bosteels, le concurrent qui nous précédait à ce moment de 40 petites minutes au classement général, avait intelligemment décidé de rester dans notre sillage afin de préserver son avantage. Ma réputation de bon navigateur lui donnait sans doute confiance dans mes choix, car  a contrario, tous les habitués du Dakar savent qu’il ne faut JAMAIS suivre aveuglément une autre voiture (je l’avais d’ailleurs appris à mes dépends en 82 en suivant mon ami belge Claude Bougoignie qui était sur une mauvaise piste !).

Nous roulions dans une trace qui, de temps à autre, apparaissait devant le capot. Des pluies récentes avaient en effet tout emporté. Mais soudain, nous voilà au pied d’un massif montagneux et la trace s’arrête net ! Je descends de la voiture pour essayer de deviner dans quelle direction elle pourrait reprendre vie, mais sans succès. Nous voyant hésitants, Bosteels décide de faire demi-tour. Relisant mes cartes, je demande à Michel de me faire confiance et de tenter de passer la montagne coûte que coûte, persuadé que nous retrouverons la piste sur l’autre versant. Malheureusement, rouler sans notes réserve souvent de mauvaises surprises, et non des moindres ! Brusquement, l’avant du Land plonge littéralement dans un trou immense, profond d’au moins 1 mètre. A ce moment précis, nous pensons tous les deux que notre course va s’arrêter ici, car seuls dans la montagne, nous ne pouvons espérer aucune aide extérieure. Mais c’était sans compter sur les immenses qualités de notre voiture, et sur notre détermination à voir la plage de Dakar ! Je monte une sorte d’escalier en empilant des pierres les unes sur les autres. Michel enclenche la marche arrière, et ô miracle, le Land s’extrait de ce piège sans douleur ! Nous repartons de plus belle, à 5km/h au milieu des rochers. Au bout de quelques dizaines de minutes, nous retrouvons la piste que j’avais pressentie ! Michel me prend la main « Trop fort, mon Lulu ! ». J’avoue que j’étais soulagé d’avoir eu raison. Je me rappelai de la phrase prémonitoire de Sabine « Dans le désert, il faut de l’humilité… ». Peut-être en avais-je manqué un peu, sur ce coup-là, mais cela avait payé.

Nous atteignons Kayes le cœur battant. Quitter le roadbook représente en effet toujours le risque de rater un contrôle de passage surprise, avec trois heures de pénalité à la clé. En outre, nous n’avons aucune idée des performances de nos adversaires. Nous n’avons plus aperçu une seule voiture depuis des heures ! « Septième voiture à l’arrivée, mes amis ! Bravo ! », nous lance le contrôleur. « Et Bosteels ? » demande Michel. « Pas vu », répond l’homme de TSO. Michel n’en croyait pas ses oreilles : nous étions neuvièmes au classement général ! Bosteels avait perdu cette bataille, avec les honneurs, toutefois…

Mais la course n’était pas terminée pour autant. Entre Kayes et Kédougou, la piste est complètement défoncée. Le Land et nos dos souffrent, mais ne rompent pas ! Ensuite la piste menant à Tambacounda serpente dans une forêt si dense, que nous y laissons nos deux élargisseurs d’ailes avant et un phare longue portée, alors qu’une branche s’occupe d’arranger un peu plus notre pare-brise déjà en piteux état.

A 50 km de Sali, nous apercevons le Range Pacific de Pescarolo-Fourticq, 5èmes, arrêté sur le bord de la piste. Nous stoppons pour voir si nous pouvons aider ce si sympathique équipage. Malheureusement, c’est le moteur qui a rendu l’âme. Quelle tristesse, à la veille de l’arrivée sur la plage de Dakar ! Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, nous voici huitièmes !(P15 - Pacific)

Reste la dernière épreuve : celle de la plage. 80 kilomètres entre les vagues et la foule, pas toujours très disciplinée. Nous recevons en guise de bienvenue une grosse pierre dans le pare-brise (encore !) côté conducteur cette fois, et nous avons ensuite les pires difficultés à apercevoir la plage devant nous. C’est donc « au radar » que nous franchissons la ligne d’arrivée. Nous avons les larmes aux yeux. Michel me prend dans ses bras « Bravo mon Lulu ! Pari tenu ! Merci ». Dino, en sanglots, est là pour nous accueillir, ainsi que l’épouse de Michel, et notre sponsor Monroe. A mon tour de remercier Michel pour m’avoir fait confiance, et m’avoir permis de vivre cette incroyable et merveilleuse aventure. Elle a scellé entre nous une amitié fraternelle, définitivement indéfectible. (P16-P17-P18 Arrivée)

Merci aussi à Thierry Sabine, cet homme hors du commun, pour qui nous étions prêts à tous les sacrifices et grâce à qui nous avons découvert ce continent magnifique, peuplé de gens généreux, dotés d’une grande humanité. Mes pensées vont aussi à Daniel Balavoine, mon ami parti rejoindre, l’année suivante, le paradis des chanteurs en compagnie de Thierry. Merci enfin à mon épouse Danielle, qui m’a toujours encouragé à réaliser mes rêves.(P19 – Sabine – Balavoine)

C’était aussi une bonne manière de mettre un terme définitif à ma « carrière » de pilote automobile. En effet, pour la première fois depuis mes débuts en 1966, je reçus une lettre de mon père, me disant qu’il était fier de moi.

The End.

© Lucien Beckers

Sources : archives L. Beckers – Thierry Sabine présente le Dakar 85 – Jean-Luc Roy

 

 

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